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Lettre ouverte au divin Jupiter de l'Élysée


                                                                                            Divin Jupiter de l'Élysée,


Vous avez pris vos guêtres et vous avez parcouru la campagne à la rencontre des Gilets jaunes pour écouter leurs doléances. C'est bien. Et à chaque étape, vous avez entendu la même doléance : "Non à la "démoncratie" actuelle, il nous faut une vraie démocratie. Nous voulons une démocratie participative". Et à chaque étape, vous avez opiné tout comme eux, à l'unisson. Avec l'accent gaullien, vous avez répondu à chaque fois : " Je vous ai compris."

Seulement voilà ! De retour à l'Élysée, vous avez tout effacé de votre mémoire. Bientôt l'élection du conseiller départemental qui se déroulera dans le cadre de son petit canton au suffrage universel; mais pourquoi dans le cadre de ce canton alors qu'il doit voir la gestion du département et non particulièrement celle de son canton ? Ce point de la constitution fait comme un bras d'honneur à dame Démocratie ! Les constitutionnalistes de service ont dû boire un peu trop de rhum arrangé pour arranger si tortueusement les lois électorales. Par ailleurs, une fois élu, voilà notre "cantonnier" grand électeur avec, entre autres, les autres conseillers départementaux et régionaux. Ce sont ces grands électeurs qui élisent les sénateurs, et non les petits électeurs dont font partie les Gilets jaunes. Lesquels devraient déclarer manu militari qu'ils sont devenus grands : eux aussi veulent voter. Le suffrage universel direct s'impose : on ne ferait qu'améliorer la démocratie participative. Oui, les Gilets jaunes veulent voter ce jour-là, eux aussi, et non plus laisser ce triste privilège à quelques grands électeurs, prêts à toutes les compromissions et tous ensemble métamorphosés en maquignons pour cette occasion. Horribile dictu ! Alors, divin Jupiter, reportez cette élection de l'ensemble des conseillers départementaux au jour des municipales. Plus de renouvellement par tiers. Une élection de tous les conseillers départementaux dans chaque département, comme on élit, dans chaque région, les conseillers régionaux. Les Gilets jaunes ne peuvent qu'applaudir.

Un bon coup de fourche chez les sénateurs sera fort apprécié. Un seul sénateur par département, c'est bien suffisant. Les élus de cette caste, pleins de suffisance, ne servent pas à grand chose, à vrai dire : les députés, malins comme le renard, se plaisent à détisser ce qu'au palais du Luxembourg on a tissé. Nos pauvres sénateurs ne sont que les Pénélope des temps modernes. Evidemment, ils doivent être élus par tous les électeurs et non plus par une petite poignée de grands électeurs.

Et pour nos députés, opérons une petite coupe sombre. Trop de députés viennent, au Palais Bourbon, seulement pour user leurs fonds de culotte et consulter leurs ordiphones. Ils nuisent à la clarté des autres. Deux ou trois députés par département, c'est amplement suffisant. Les Gilets jaunes demandent à cor et à cri que le superflu de députés et de sénateurs soit jeté sans état d'âme du haut de la Roche Tarpéïenne (Saxum Tarpeium). Il  y a impérieuse nécessité à nettoyer  les écuries d'Augias.

Au final, plus de circonscriptions électorales : un élu de la Nation doit bien se mettre en tête qu'il est un élu au service de tous les Francais et non au service d'une petite circonscription. Inutile d'en avoir un à deux pas de sa porte. A l'heure des mails, on peut envoyer un petit mot à l'un d'eux où qu'il soit et, le cas échéant, avec le secours de Médiapart, on peut l'étriller de belle façon. En sait quelque chose le fin gourmet de Rugis, naguère troisième personnage de L'Etat, qui a su engloutir homard sur homard, grand cru sur grand cru. C'est le Grandgousier de notre époque, dirait mon ami Rabelais, le Grandgousier qui a fait graver sur son écusson : "fay ce que vouldras" !

Oui, toutes ces modifications doivent être soumises au peuple français et non aux élus nationaux qui s'entendent comme larrons en foire et se partagent volontiers, telle une curée, telle circonscription ou telle autre. Dame Soleil, que j'ai consultée à ce sujet, soutient que l'affaire est dans le sac. La pythie de Delphes, bien assise sur son trépied, prononce le même oracle : le jury populaire va l'emporter haut la main !

Alors, divin Jupiter, n'hésitez pas un seul instant. Et retenez à tout jamais que les petits électeurs sont devenus grands. Donnez du lustre à la grande dame Démocratie ! Ôtez-lui vite ses haillons qu'elle traîne honteusement !

Je vis d'espoir.

Divinement vôtre.


Gérard Jeanneau, ex gardeur de vaches sous l'occupation allemande.


P. S. 

Divin Jupiter, imaginons un instant que les trois Parques, les trois sœurs filandières, ne vous épargnent pas et que, féroces, elles coupent le fil de votre admirable destinée - horribile dictu -, c'est le deuxième personnage de l'Etat, le président du sénat, Gérard Larcher, qui devient notre président par intérim. Il a été élu par les  électeurs de son tout petit canton, puis, chemin faisant, par les grands électeurs de son département. Et si les sœurs filandières, susnommées, viennent à couper également le fil de la destinée de Gérard Larcher, le soir même de sa première journée de présidence, on dira de lui - mirabile dictu - : "De toute sa présidence, il n'a jamais fermé l'œil". J'entends mon ami Cicéron, qui a un regard sur tout, crier dans sa tombe qu'il a connu un précédent à son époque. 

Alors, autre catastrophe, c'est le troisième personnage de l'Etat qui serait le président par intérim. Naguère, c'était le fin gourmet, le Grandgousier du Palais Bourbon, dont je viens à l'instant de vanter l'appétit gargantuesque. Pauvre de nous !

Trêve de macabres plaisanteries ! Divin Jupiter, prenez le plus grand soin de vous. Terminez votre mandat. Evitez à douce France de la laisser tomber de Charybde en Scylla.